Le sujet de grande quête

 

Une poignée de passionnés en France, un nombre nettement plus important de "tifosi" en Italie, quelques Suisses, Belges et Espagnols, composent le petit monde de la grande quête en Europe. Cette discipline reine se déroule uniquement en couple et est ouverte aux chiens de races britanniques. Elle a pour but de mettre en valeur des sujets exceptionnels dans leur race. Comme toute épreuve de haute compétition, elle s’écarte du commun et, de par sa forme, de l’image de la chasse pratique. Elle est à celle-ci ce que la formule 1 est à la voiture de tourisme. Le sens des oiseaux, la rapidité des allures, l’étendue de la quête et le patron spontané, voilà ce qui caractérise les chiens qui y concourent. La race la plus représentée en grande quête est le pointer, il y domine en maître et seigneur. Le setter anglais y figure en second, de façon très honorable avec quelques sujets de grande valeur, bien que l’esprit qui prévaut dans ce type d’épreuve soit plus violent que celui qu’on peut se faire du style setter. Très peu de setters irlandais ont participé avec succès en grande quête ces dernières années, contrairement aux décennies précédentes. Il n’en demeure pas moins que le style de ce setter est peut-être celui qui s’accorderait le mieux avec la violence des allures exigées. Quant aux gordon, trois ou quatre sont devenus champions dans cette discipline depuis vingt ans. Par contre, le niveau de certains élevages dans cette race a fait un net progrès, et il ne serait pas étonnant de découvrir dans les années à venir des sujets pouvant rivaliser avec les meilleurs setters anglais et pointers.

Tous les chiens qui ont obtenu le titre de champion de travail en grande quête étaient et sont des sujets d’exception. Pour s’en persuader, il faut venir apprécier de visu l’esprit qui prévaut dans cette discipline et qui anime chiens et conducteurs. L’intérêt que portent les clubs de race à des épreuves telles que le “Derby” montre l’attachement qu’elles peuvent avoir à dépister dans leurs rangs des sujets d’exception.

Détenir ou penser détenir un sujet pouvant figurer dans ce type de compétition est source de très grande satisfaction, tant pour son naisseur que pour son conducteur. Le très grand dresseur italien, M. Gino Botto, affirmait qu’il se découvrait un chien de grande quête sur mille naissances dans une race et encore sur des lignées sélectionnées. Je pense, pour ma part, qu’actuellement la proportion peut être plus importante dans certains élevages, car si un jeune élève possède le potentiel, tout est ensuite affaire de conditionnement. Je parle bien sûr ici du chien qui est "grande quête" par nature et non de celui qui aura, à force de relances et d’entraînements, été tiré par d’autres plus entreprenants. Un certain nombre de sujets présentés actuellement dans cette discipline ont “le cul entre deux chaises”, les conducteurs les présentent d’ailleurs alternativement en quête de chasse et en grande quête.

Un chien de grande quête n’est pas, comme on peut le constater actuellement en Italie lors des épreuves “classiques”, un sujet de quête de chasse “rallongé”, qui s’étendra de façon correcte sur les côtés, c’est-à-dire entre 400 et 500 mètres, mais qui manquera totalement d’ouverture, au point de repasser sur les bottes de son conducteur. En effet, s’il est relativement facile d’élargir la quête d’un chien, il est impossible de lui donner le mental qui l’incitera à ouvrir dans le vent à chaque bout de lacet. Le fait de serrer ses lacets chez un chien de quête de chasse “rallongé” a également pour fonction de ne pas prendre de risque et de ne pas faire voler les oiseaux, le tout guidé par un dressage souvent trop pendulaire.

Le chien de grande quête est tout, sauf un chien prudent. Au contraire, il est autoritaire et donne l’impression de dominer la plaine plutôt que de la subir. Lorsqu’il rencontre une émanation, il remonte droit dans le vent avec décision, plutôt que de l’indiquer et de continuer son lacet, en pensant profiter plus pleinement de l’occasion à son retour.

Même si en pratique le chien de grande quête se conditionne sur le terrain, il naît ainsi et possède toutes les qualités qui feront de lui un trialer dans cette discipline de façon innée. Vouloir pousser un chien qui ne ferait pas tout à fait la pointure apporte souvent plus de désillusions que de satisfaction.

Si, lors de vos sorties d’entraînement en couple, un de vos jeunes élèves vous montre des capacités largement supérieures à la moyenne et dépasse totalement le cadre de la quête de chasse, dans l’amplitude et la profondeur de sa quête, vous devrez au lieu de canaliser tout cela dans des limites raisonnables, tester ce sujet en solo. Un chien de grande quête ne peut en effet prétendre figurer de façon optimale dans cette discipline, s’il a été tiré par d’autres pour arriver à ce niveau. Il doit posséder cet esprit de façon innée et développer la même amplitude et profondeur de quête lorsqu’il quête seul. Bien que cela soit plus difficile à découvrir chez un setter que chez un pointer, la grande quête c’est avant tout l’ouverture et l’envie d’aller et de monter dans le vent. Sans ouverture, un chien aussi étendu soit-il, restera un chien de quête de chasse.

Si vous pensez posséder cette perle rare, ce qui n’arrive pas par hasard, car un chien de cette envergure ne naît pas dans n’importe quelle portée, mais avec des origines bien sélectionnées, vous pourrez prendre conseil auprès de spécialistes pour conforter votre impression. Le monde de la grande quête est assez restreint, donc plutôt que d’écouter les conseils plus ou moins avisés de pseudo-connaisseurs, demandez donc plus simplement son avis à un juge officiant dans cette discipline ou à un dresseur présentant régulièrement en grande quête. Quelques amateurs passionnés, rassemblés au sein de l’Amicale des amateurs de field-trials et sont également tout à fait aptes à donner des conseils avisés dans ce domaine.

Auprès de ces amateurs et professionnels, vous trouverez les conseils, mais aussi la matière qui vous permettra de poursuivre l’aventure, si toutefois le cœur vous en dit. Un chien qui par nature a des moyens de grande quête se "recadre" difficilement en quête de chasse. Même en le contraignant, il arrivera au naturel de reprendre le dessus et votre chien sortira régulièrement du cadre de ce que l’on attend en quête de chasse. D’autre part, il serait dommage de ne pas profiter d’une exception dans sa race, car l’opportunité ne se reproduira peut-être pas de sitôt. Par contre, si l’aventure ne vous tente pas et dépasse totalement vos moyens et ambitions, ne gâchez pas une telle occasion et cédez ce sujet d’avenir à un amateur qui pourra optimiser ses qualités sur le terrain. Dans le domaine de la grande quête, il y a plus de demandeurs que de personnes qui possèdent un sujet de qualité. La cession d’un tel chien ne pose, en principe, aucun problème.

 

La préparation du chien de grande quête

 

À l’inverse, si vous décidez de relever le challenge, il faudra vous armer de patience, car la préparation d’un tel chien est certainement la plus ardue en matière de field-trial, mais aussi celle qui à terme vous donnera les plus grandes satisfactions.

Un chien de grande quête se doit d’être conditionné à son futur travail et pour cela, il vous faudra bénéficier de la collaboration d’un collègue qui entraînera avec vous en couple.

Dans un premier temps, en solo comme en couple, vous ferez en sorte de mettre à la disposition de votre chien la plaine la plus étendue, avec le moins de limites naturelles. Face au vent, vous le laisserez prendre le plus de terrain possible, sans siffler pour le faire tourner. De lui-même, votre élève étendra sa quête. Deux choses sont à surveiller et à entretenir. Il faudra d’abord éviter qu’il rencontre plus de lièvres que de perdreaux et ne les poursuivent trop, au risque de passer les routes, ce qui représente un des dangers les plus importants lors de ces séances d’entraînement. Par ailleurs, il faudra entretenir le contact, sans jamais siffler, ni s’inquiéter outre mesure lorsque votre élève disparaîtra derrière une colline. Et cultiver ce rapport chaque fois que l’occasion vous en sera donnée par un encouragement ou une caresse.

Même hors de votre vue, votre chien doit travailler en communion avec vous, et votre intérêt est d’entretenir cette relation sans lui imposer un carcan d’étendue ou de profondeur. C’est à ce moment que vous comprendrez si vous possédez la fibre de la grande quête et que votre élève en détient bien l’esprit. Certains conducteurs ne peuvent pas admettre de ne pas avoir leur chien sous leur contrôle permanent. Il faut tolérer au jeune sujet aux grands moyens quelques incartades ou remontées intempestives. Ce sont ces actions qui lui donneront l’ouverture et l’autorité pour monter sur les oiseaux plus tard.

Si j’ai insisté sur le fait de mettre le jeune chien face à une plaine la plus étendue possible, c’est que de nombreuses personnes conseillent l’inverse en préconisant de s’aider des limites naturelles de bois ou de haies pour mieux canaliser l’élève. Par expérience, cette méthode ne présente pour moi que des désavantages, notamment celui de faire tourner le chien avant ladite limite. À terme, cela se reconduit sur le terrain, tant pour le chien de quête de chasse que pour celui de grande quête, par le fait de s’inscrire systématiquement dans le périmètre du champ qu’on lui propose. L’exemple est souvent frappant en quête de chasse, lorsque des chiens se contentent d’exploiter un petit vert devant eux, alors que, en passant un labour à droite ou à gauche, ils pourraient bénéficier d’une plaine beaucoup plus vaste.

Sans le vouloir et en souhaitant canaliser le chien, on l’oblige à tourner avant un chemin, une limite de culture ou un dénivelé de terrain. Tous les passionnés de field-trials, habitués aux concours de printemps, savent bien que ces endroits sont particulièrement choisis par les oiseaux et donc propices pour prendre des points. Chaque fois qu’un chien se fait éliminer sur une tape en bout de lacet, c’est qu’il n’est pas allé assez loin pour prendre son vent et n’a pu profiter de l’émanation. Pour parer à cela, il faut absolument éviter lors des premiers entraînements ces barrières naturelles, surtout chez le chien de grande quête que seuls son instinct et sa rage de trouver les oiseaux doivent guider.

Ces paramètres d’établissement de quête entendus, il conviendra ensuite de profiter de terrains justes assez giboyeux pour maintenir l’envie de chercher et de trouver les oiseaux. Un territoire trop riche en perdreaux pose souvent des problèmes au chien de grande quête. D’une part, il ne lui permet pas d’établir une quête assez ample, car il est toujours plus facile physiquement de profiter des oiseaux plus proches, ce qui hache le parcours. D’autre part, cela est la cause de nombreux oublis, pour peu que le chien ouvre sa quête. La présence excessive de lièvres n’est pas non plus profitable, car, la tentation aidant, une sortie de main est toujours plus facile à 400 mètres que dans les pieds du conducteur. À ce sujet, l’entraînement en Andalousie est très profitable, car les lièvres y sont beaucoup plus petits et disparaissent rapidement à la vue des chiens. Cette condition ne les incite pas à poursuivre et est une excellente approche dans ce domaine. À l’inverse, les gros lièvres de Beauce, qui s’assoient devant les chiens ou qui viennent les provoquer lors du bouquinage, sont beaucoup plus tentants et cause de nombreuses sorties de main.

Un chien de grande quête se canalise plus qu’il ne se dresse, c’est encore le contact que vous entretiendrez avec votre élève qui vous permettra de conserver une distance correcte d’ouverture, lorsque votre chien croisera devant vous. Lors des pointes en avant qu’il ne manquera pas de faire, vous attendrez qu’il rentre sur vous, pour le relancer à distance dans un lacet bien à plat, mais en conservant toujours un écart de 50 à 80 mètres de profondeur entre la trajectoire du chien et votre position. Beaucoup de setters actuellement, même s’ils ouvrent en bout de lacet, rentrent en diagonale sur leur conducteur, jusqu’à leur repasser à quelques mètres devant, pour repartir à plat dans leur lacet. Cette méthode, peu esthétique, manque, qui plus est, d’efficacité, car elle laisse le chien revenir sans être parfaitement face au vent. Pour relancer à distance, évitez d’employer le sifflet qui ne ferait qu’attirer le chien vers vous. Montez plutôt en avant, en indiquant par des moulinets du bras et de la laisse la direction souhaitée à la distance voulue. Ce conditionnement très jeune apprendra à votre élève à prendre le contact à cette distance, ce qui lui évitera de repasser trop près même lorsqu’il sera en couple et que l’autre chien ne suivra pas obligatoirement le même lacet que lui.

La majeure partie des automatismes propres à la grande quête, à l’exception bien sûr du patron et de la répartition de la quête, s’apprendront beaucoup plus facilement en solo qu’en couple. La mise en présence d’oiseaux comme les parcours en couple contribueront à redonner la passion et l’amplitude de quête. Par contre, il sera bien plus facile de résoudre un problème ou de créer un automatisme en solo, car l’élève ne sera pas dérangé par son concurrent et, de ce fait, beaucoup plus attentif à vos ordres et indication.

En grande quête encore plus qu’en quête de chasse, il faut essayer de conduire le plus sobrement possible, avec le minimum d’interventions au sifflet. Si le chien est habitué à être conduit en musique, il ne prêtera plus attention à vos ordres et n’en fera qu’à sa tête. Si vous recherchez le contact visuel à une distance raisonnable, c’est le chien qui sera le premier demandeur et de ce fait communiquera beaucoup plus avec vous que vous ne pourriez le faire à l’aide de votre sifflet. Le collier électrique, avec l’impulsion séquentielle ou le vibreur, peut contribuer à attirer l’attention de votre chien, pour qu’il prenne le contact le moment venu.

Le sifflet peut être utilisé pour appuyer et allonger un lacet par deux coups longs, ou simplement en fin de parcours pour signifier le rappel. Ici aussi n’utilisez le rappel qu’à bon escient, jamais sur un chien qui vous a dépassé ou qui part, mais toujours sur un chien qui vous passe devant ou qui rentre sur vous.

L’action qui doit être préparée également avec beaucoup d’attention, ce qui est plus facile en solo, est la sagesse à l’arrêt et surtout à l’envol. Il est impératif que votre élève reste immobile à l’arrêt et surtout après l’envol, quelle que soit à la distance à laquelle il se trouve de son conducteur. Cette phase de dressage doit être travaillée au “ferma”, c’est-à-dire en l’immobilité debout pour les pointers et les setters gordon, et au “down” en immobilité couchée pour les setters anglais et irlandais. Pour ce faire, vous pourrez dans un premier temps vous aider d’une boîte d’envol.

Le patron indispensable à cette discipline doit être marqué de façon spontanée, quelle que soit la distance où le chien à l’arrêt se trouve de son concurrent, dans la mesure où ce dernier l’a à vue. Quelques subtilités de conduite et d’appréciation font qu’il n’y a pas refus de patron, si le chien à l’arrêt se trouve en dessous du concurrent, qui peut continuer son lacet, ce dernier étant censé ne pas l’avoir vu. Par contre, il est évident que, si des oiseaux volent à son arrêt, le concurrent peut être éliminé non pas pour refus de patron, mais pour oubli des oiseaux. En majorité, des chiens de grande quête sont des chiens dominants qui, bien que patronnant spontanément, acceptent difficilement cette soumission.

Enfin et au-delà de toute cette préparation méthodique sur le terrain, le chien de grande quête, s’il est difficilement utilisable à la chasse du fait des terrains exigés, doit pour entretenir son moral et sa passion participer à quelques actions de chasse chaque saison. La perdrix reste le gibier de prédilection pour lui, bien que la bécassine soit également un excellent support. Seule ombre au tableau, si tous les chiens de grande quête cherchent et trouvent les perdrix, ce n’est pas toujours le cas pour les bécassines qui sont aussi affaire de spécialistes.

La plupart des dresseurs œuvrant dans cette discipline confirmeront qu’il est important qu’un chien de grande quête puisse de temps en temps “mordre dans la plume”. Il est bien évident qu’il faudra calquer la durée des parcours de chasse sur celle des parcours d’entraînement ou de concours, pour que le chien puisse conserver son rythme et l’allure qui convient à ces épreuves.