CHASSER LA BÉCASSINE

Les chasseurs de bécassines, s’ils sont de moins en moins nombreux, n’en sont pas moins passionnés. Cette raréfaction est la conséquence de la destruction en chaîne, par assèchement d’une grande partie des zones humides qui pouvaient recevoir notre migratrice au long bec. Hormis les personnes les plus obtuses, tous ont reconnu l’importance de cette méprise. Ce constat a mené paradoxalement à la délivrance d’indemnisations pour le maintien d’animaux dans le marais, en vue de la conservation du milieu naturel, couplé en parallèle aux primes liées au drainage. Le mal commis semble difficilement réparable, car il a sûrement influé sur certaines lignes de migrations. Toutefois, et c’est bien heureux, les marais qui ont su préserver leur qualité et qui sont bien aménagés voient la densité des migratrices croître d’années en années.

LES BÉCASSINIERS

Parmi tous les sauvaginiers passionnés, deux types de nemrods se rencontrent, d’une part les chasseurs occasionnels, ou à la botte, qui parcourent le marais en quête de gibier d’eau en général, et d’autre part, les bécassiniers, qui n’ont qu’un seul but, la recherche de la demoiselle au long bec.

À ces deux personnages, croqués de façon non exhaustive, car tous les cas de figure se rencontrent chez les sauvaginiers, il convient de brosser une ligne de conduite, et par la-même d’apprécier le comportement du compagnon à quatre pattes qui ne manque pas de suivre ou de précéder.

LE COUREUR DE MARAIS

S’il n’est réellement qu’occasionnel, le chasseur de marais risque rarement de faire fortune dans ce milieu, le plus souvent peu ou mal équipé, il est en plus affublé d’un chien, qui fréquemment répugne à se mouiller les pattes, et dont l’obéissance n’est pour lui qu’un lointain souvenir. À celui-ci laissons la joie des piqûres de moustiques et des immenses détours pour récupérer l’unique colvert, qu’il aura fait tomber de l’autre côté de ce maudit canal, et que ni plaintes ni supplications n’arriveront à faire franchir à l’ersatz de retriever qui le suit comme son ombre.

Le véritable coureur de marais n’a rien de commun avec notre premier chasseur. Celui-ci connaît son marais comme sa poche, aucun passage ne lui échappe. Passer un petit bief en équilibriste sur une perche, ou bien croiser les roseaux à la botte pour franchir un canal pratiquement envasé, n’a plus de secret pour lui. Il saura toujours choisir à bon escient, son plomb, en fonction du marais qu’il aborde, car pour lui tous les gibiers sont nobles et dignes d’être chassés. Il saura de la même façon, se dissimuler dans les roseaux, son chien d’arrêt ou son retriever sur les talons, pour attendre la pose du paquet de sarcelles qui tourne au-dessus du marais, comme il avancera d’une allure feutrée, le fusil à la hanche, le chien au pied, sur cette bordure de platière, guettant le départ du paquet de bécassines qui ne manquera pas de gicler du bout du marais. Chez lui le tir compte autant que la qualité de l’oiseau. Par contre, si son chien d’arrêt n’a d’arrêt que le nom, le plus souvent employé comme un springer, il est d’une parfaite obéissance et dans tous les cas un excellent retriever. Que ce type de chasseur possède un chien d’arrêt, un springer, ou un retriever, il l’utilisera de la même façon, c’est-à-dire en lui laissant que peu d’entreprise, mais en exigeant de lui une obéissance parfaite. Le chien auquel on ne laissera que peu d’initiative ne sera pas enclin à en prendre par la suite et risquera de limiter sa prestation à celle d’un retriever. Dans ce cas l’emploi d’un chien de ce groupe est plus approprié, ce qui n’empêche pas de nombreux chasseurs d’utiliser setters et pointers, sous le fusil, juste pour faire voler et rapporter ensuite.

Cette méthode de chasse connue de tous les sauvaginiers, est sans aucun doute la plus pratiquée et la plus meurtrière. À la billebaude, elle ne manque pas de charme, pour peu que l’on fasse confiance en son chien et qu’on lui laisse l’initiative de rechercher le gibier, pour éventuellement l’arrêter. Dans ce cas, la bécassine reste secondaire et la recherche du canard plus primordiale.

LES BÉCASSINIERS CYNOPHILES

Il est bien évident que le chasseur de marais, qui arpente les platières, fusil à la hanche, labrador sur les talons, mérite tout autant l’appellation de bécassinier, que celui qui découplera une paire de pointers ou de setters, mais pour moi l’étiquette se mérite. Il est évident que le fait de ne chasser qu’à l’arrêt de ses chiens, qu’ils soient continentaux ou britanniques, car il existe d’excellents sujets des deux types, sublime l’action de chasse. Le bécassinier au chien d’arrêt est un puriste, pour qui l’éthique l’emporte sur le tableau. Pour lui l’acte de chasse passe en premier lieu par le travail du ou des chiens. Tirer un oiseau de raccroc qui n’aurait pas été travaillé n’a que peu d’intérêt, le bécassinier rejoint ici le bécassier. Cette utilisation du chien bécassinier est souvent plus le fait de chasseurs spécialistes, ou cynophiles, que de chasseurs généralistes et à la billebaude.

Le nec le plus ultra dans ce domaine veut que l’on utilise une paire de chiens d’arrêt, britanniques si possible, parfaitement créancés, en leur laissant toute l’entreprise nécessaire aux sujets de grande quête, et en essayant de travailler à bon vent, ce qui n’est pas toujours facile ni réalisable. Les chiens quêtant à distance respectable arrêteront et patronneront dans le meilleur des cas, ce qui vous permettra d’approcher à distance suffisante des oiseaux pour espérer les tirer dans de bonnes conditions. Si le tir de la bécassine à l’arrêt peut sembler facile, je pense pour ma part qu’il est parfois plus ardu que celui d’un oiseau tiré de façon instinctive à la botte.

Après le magnifique doublé, que vous n’aurez pas manqué de réaliser, il vous suffira d’envoyer au rapport votre retriever, qui n’aura rien loupé de la scène, assis à distance respectable, pour retrouver et rapporter les oiseaux.

Au-delà des différentes conceptions de cette chasse, la bécassine reste un support merveilleux, et qu’ils soient coureurs de marais, ou bécassiniers, les chiens et les chasseurs auront encore de belles chasses à vivre, pour peu qu’il reste toujours des zones humides.